Samuel Tardieu @ rfc1149.net

Écoles d'ingénieurs, recrutement et alternance

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Depuis quelques années, les grandes écoles d’ingénieurs françaises doivent composer avec deux réalités antagonistes : l’industrie européenne manque cruellement d’ingénieurs, et les jeunes sont de moins en moins nombreux à faire le choix d’études scientifiques longues. Les écoles doivent opter entre trois possibilités :

  1. Ne pas changer le nombre d’admis et accepter que le niveau moyen baisse. En effet, il serait illusoire de penser que seuls les étudiants les moins bons renoncent aux études scientifiques. Les 100 premiers aujourd’hui sont probablement moins bons que les 100 premiers lorsque les candidats sont deux fois plus nombreux.

  2. Diminuer le nombre d’admis et creuser le déficit en ingénieurs.

  3. Conserver le nombre d’ingénieurs formés et préserver leur niveau en élargissant le recrutement à d’autres étudiants que ceux visés jusqu’alors.

Un grand nombre d’écoles ont choisi d’opter pour cette dernière tactique, qui consiste à élargir ce qu’elles appellent leur « vivier de recrutement ». En plus des traditionnelles admissions après les classes préparatoires aux grandes écoles (sur concours) ou après des études universitaires (admission sur titre), elles cherchent désormais à attirer les meilleurs étudiants parmi ceux titulaires d’un DUT.

Cet élargissement des candidats à la formation d’ingénieurs ne paraît pas absurde au premier abord : on peut raisonnablement supposer que les meilleurs étudiants ayant obtenus un DUT seront aussi bons, voire meilleurs, que le milieu du panier provenant des classes préparatoires. Ils n’auront a priori pas plus de difficulté à suivre une formation d’ingénieurs exigeante, leurs lacunes en mathématique et en physique étant remplacées par un savoir-faire qui manque cruellement aux taupins. D’ailleurs, un certain nombre d’écoles commencent les études par un processus revendiqué et assumé de détaupinisation de leurs étudiants.

En parallèle, les écoles créent des filières de formation en alternance. Longtemps décrié, ce mécanisme d’apprentissage qui allie dans un même temps formation théorique et découverte de la vie professionnelle revient aujourd’hui à la mode. Les entreprises souhaitant accueillir des ingénieurs en formation sont légions tant les avantages sont évidents : l’élève ingénieur est payé en dessous du SMIC tandis qu’il se forme sur des sujets immédiatement utiles à l’entreprise.

Là où le bât blesse, c’est que les écoles ouvrant des filières en alternance les lient parfois au recrutement des étudiants au niveau DUT. Ces étudiants n’auront pas le choix et devront choisir la formation en apprentissage, tandis que ceux recrutés selon des voies plus classiques devront suivre une formation traditionnelle.

D’un point de vue scientifique, cette intrication de deux changements profonds dans la manière d’aborder la formation des ingénieurs est une aberration : si on veut être capable d’estimer l’impact d’une diversification du recrutement sur le niveau des ingénieurs fraîchement émoulus, il ne faut faire varier que cet unique paramètre ; si on choisit d’étudier les variations de compétences liées à la formation en alternance, il ne faut pas l’appliquer simultanément et exclusivement à un nouveau vivier.

Se trouve-t-on pour autant dans une impasse, ou doit-on abandonner une de ces deux pistes ? Absolument pas ! Il suffit de recruter les meilleurs étudiants titulaires d’un DUT et de les intégrer à la population des écoles, et de permettre à tous les étudiants, quels qu’ils soient, de choisir entre une formation en alternance et une formation traditionnelle. Ainsi, en étudiant les quatre catégories d’étudiants, on parviendra à comparer leurs résultats respectifs et à évaluer séparément les apports du recrutement niveau DUT et ceux de la formation en apprentissage.

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